«Mécénat: une dynamique de responsabilité collective en danger». La tribune de Philippe d’Ornano

«Mécénat: une dynamique de responsabilité collective en danger». La tribune de Philippe d’Ornano

« Loin d’être un effet d’aubaine, le mécénat est un effet de levier en incitant les acteurs économiques à donner plus que leur impôt pour l’intérêt général » 

Au détour du projet de loi de finances, le gouvernement a introduit une réforme rabotant le dispositif fiscal qui encadre le mécénat d’entreprise. Ce dispositif avait été « dopé », en 2003, par le ministre de la Culture de l’époque afin d’encourager les particuliers comme les entreprises à s’investir pour l’intérêt général. La France comptant alors parmi les pays les plus fiscalisés au monde, les initiatives philanthropiques y étaient encore isolées.

Quinze ans plus tard, la surfiscalité française n’a pas disparu, bien au contraire. Mais le mécénat s’est développé, bien au-delà du seul champ culturel et des grandes réalisations parisiennes. Les ETI mécènes, notamment, sont deux fois plus nombreuses qu’il y a dix ans et irriguent de leur soutien la recherche comme le milieu associatif ou les collectivités locales. Elles financent des projets à travers tout le territoire, dans les villes, les quartiers et les campagnes, sur des enjeux de santé, d’éducation, d’environnement ou de lutte contre l’exclusion. Au total, 85 % des projets soutenus par les ETI sont régionaux. Ils donnent des résultats concrets et permettent souvent de financer des opérations pilotes, innovantes, voire expérimentales sur lesquelles la puissance publique hésite ou ne veut pas investir.

Est-ce suffisant ? Sans doute pas si l’on constate que le mécénat d’entreprise reste, en France, sept fois moins important qu’en Allemagne. Moins encore si l’on compare ce mouvement récent aux fractures et aux défis de nos territoires. Mais cet élan est porteur d’espoir. Lorsque l’on sait que seulement 15 % de nos 5800 ETI disposent d’une fondation, imaginons quel formidable réservoir d’engagement il reste à mobiliser !

Plafonnement. Est-ce à cette accélération que la réforme prétend s’atteler ? C’est hélas tout le contraire. En parlant «d’avantage fiscal» et en plaidant pour des «économies», le plafonnement qu’introduira la réforme va donner un coup de frein brutal à un mouvement dont toutes les parties prenantes sont unanimes à constater les bienfaits.

Car, loin d’être un effet d’aubaine, le mécénat est un effet de levier en incitant les acteurs économiques à donner plus que leur impôt pour l’intérêt général. Les 100 millions d’euros d’économie fiscale annoncés se traduiraient par 150 millions de moins pour les associations qui se battent sur le terrain. Quel signal désastreux dans un contexte de crise sociale et territoriale !

Le gouvernement minimise la portée du plafond de deux millions d’euros introduit par la réforme au motif que « seules 78 entreprises sont concernées ». Mais la statistique d’aujourd’hui ne fait pas l’ambition de demain et les ETI, dont la catégorie va jusqu’à 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires, pourraient s’engager bien au-delà de ce nouveau plafond. En faisant tomber la herse arbitrairement au milieu d’une catégorie d’entreprise pourtant définie par la loi, le gouvernement adresse un message de défiance opposé à l’appel à l’engagement du secteur privé porté par le Président à l’occasion du G7 de Biarritz.

Car le chef de l’Etat a compris que cet engagement de la société civile est une chance pour relever les défis écologiques, éducatifs, de solidarité de notre pays. C’était d’ailleurs le sens de la décision d’inscrire la « raison d’être » et « l’objet social élargi » des entreprises dans la Loi Pacte il y a tout juste un an. C’est à cet appel que le mécénat répond en permettant de faire plus, de faire ensemble et souvent de faire mieux. Et c’est à cette dynamique de responsabilité collective que la réforme risque de porter atteinte.

Philippe d’Ornano, président de Sisley, co-président du METI.

Publie par l’Opinion le 21 octobre 2019