[Les Echos] Frédéric Coirier : Pour le coprésident du METI, les marges des ETI restent sous contraintes

Frédéric Coirier : Pour le coprésident du METI, les marges des ETI restent sous contraintes

 

Tendance Le président du directoire du groupe Poujoulat et coprésident du METI (Mouvement des entreprises de taille intermédiaire), Frédéric Coirier, évoque la situation actuelle de ces entreprises qui comptent entre 250 et 4.999 salariés, affichent un chiffre d’affaires inférieur à 1,5 milliard d’euros ou un total de bilan inférieur à 2 milliards d’euros. Il espère une baisse des charges sociales sur tous les salaires, une révision de la fiscalité des impôts de production et une baisse du coût de la transmission des entreprises. Interview.

Les ETI semblent mieux se porter actuellement…

La situation s’est globalement améliorée. La conjoncture est plus positive et plusieurs études ou sondages d’opinion ont montré que le moral des troupes est remonté. Depuis six mois, on peut même dire qu’un climat de confiance semble s’être installé. Toutefois, dans un environnement de faible inflation, les marges sont encore sous contraintes. Par ailleurs, la concurrence mondiale est forte et nous devons rester très vigilants à la qualité de l’écosystème français car si les ETI sont très internationalisées, elles produisent largement dans l’Hexagone. Si le pays ne fait pas ce qu’il faut, nous sommes désavantagés par rapport à nos concurrents. Nous avons perçu des gestes et une volonté de dialogue de la part du gouvernement, mais il faut aujourd’hui que les améliorations se concrétisent dans les textes.

Quelles difficultés demeurent ?

 

Deux changements majeurs permettraient de doper la capacité d’investissement des entreprises françaises, de les fortifier, de les faire grandir et donc d’accroître le nombre d’ETI : les entreprises de taille intermédiaires ne sont que 5.000 aujourd’hui en France contre 12.000 en Allemagne. Or ce sont ces entreprises qui créent le plus d’emplois et qui dynamisent notre terrain industriel.
Le premier sujet est celui des charges. Tous les efforts qui ont été faits jusqu’à présent, à travers le CICE et la baisse des charges, ont porté sur les bas salaires. C’est un début mais les ETI emploient beaucoup de cadres, de chercheurs, de commerciaux et d’ingénieurs, des profils qui n’ont pas été touchés par la baisse des charges. Les Allemands et les Anglais sont aujourd’hui beaucoup plus compétitifs que nous sur ces profils. Les cotisations patronales sur un cadre sont de l’ordre de 20 % en Allemagne, contre 45 % en France. Cela signifie que, à salaire égal, un cadre coûte 25 % moins cher en Allemagne qu’en France. Une baisse de cotisations sur ces populations permettrait aux ETI de recruter des leaders pour monter en gamme et proposer des produits plus attractifs. La robotisation, la digitalisation, le développement de l’offre et le marketing passent par des recrutements de hauts potentiels. Si nous devons payer ces premiers de cordées beaucoup plus cher en France qu’ailleurs, nous sommes pénalisés.

En premier lieu, les charges donc… Et le second sujet ?

 

Le second sujet est celui de la fiscalité des impôts de production. La CVAE (1) et la CFE (2) sont deux taxes infernales : plus on investit, plus on crée d’emplois, plus on fait d’effort dans la production, les bâtiments, etc. plus on est taxé ! Le delta lié à ces taxes de production représente trois points de chiffre d’affaires par rapport à l’Allemagne. Ce sont donc trois points de rentabilité en moins ! Et autant que nous ne pouvons pas investir dans l’innovation et la compétitivité. Dans ces conditions, il est évident que l’athlète allemand va courir plus vite que le français.

Nous sommes conscients que, compte tenu de l’état de finances publiques, les changements ne peuvent se faire en un jour mais il faut tracer une ligne claire d’amélioration sur le temps du quinquennat. Le gouvernement doit inscrire les mesures, les unes après les autres, dans le calendrier pour entretenir la confiance des entrepreneurs.

Quels sont les principaux risques pour les ETI aujourd’hui ?

 

La transmission est un vrai sujet. Seules 10 à 15 % des entreprises françaises sont transmises à la génération suivante, contre plus de 50 % chez nos voisins européens en raison du cadre fiscal français. Il faut plus d’une génération pour créer et développer une ETI, mais beaucoup d’entreprises françaises sont vendues, souvent à des groupes étrangers, dotés de davantage de moyens. Le centre de décision quitte alors la France entraînant, à terme, des désinvestissements et de la destruction de valeur. Le Pacte Dutreil a permis une nette amélioration, mais il reste beaucoup plus cher de transmettre en France que dans la plupart des pays, où le coût s’élève en général à 0 ou 4 % de la valeur de l’entreprise. Comme ce coût est en réalité porté par les entreprises, pas par les familles, il vient encore réduire la capacité d’innovation et d’investissement des entreprises françaises. Il faut l’alléger pour que les entreprises puissent se transmettre, au sein d’une famille ou d’un bloc actionnarial et ainsi permettre une augmentation du nombre d’ETI.

Sans compter les lourdeurs administratives…

 

Oui, c’est le second risque, bien connu, est celui de la lourdeur et la complexité administrative auxquelles les entreprises françaises sont soumises. A taille de société comparable, il faut deux fois de moins de personnel administratif en Scandinavie qu’en France car les process sont moins complexes. La charge administrative porte des coûts masqués en personnel et en temps passé, qui nuisent encore à notre compétitivité. Il y a clairement eu prise de conscience au plus haut niveau sur le sujet et nous serons partenaires de tous ceux qui veulent alléger la vie des entreprises, dans un cadre solide, bien sûr.

Enfin, le sujet de la ressource humaine est aujourd’hui très important pour les ETI. Ces entreprises ont créé quelque 335.00 emplois nets au cours des 8 dernières années mais aujourd’hui beaucoup d’emplois ne trouvent pas preneurs, malgré un taux de chômage de 9 %. C’est ubuesque, mais sur le terrain, nous constatons une inadéquation de l’offre par rapport à nos attentes, notamment pour les personnels qualifiés, dans certaines filières industrielles ou sur de nouveaux sujets comme la digitalisation. Il faut que la formation, tant initiale que continue, se rapproche des entreprises, des territoires et des besoins. L’argent qui y est investi pourrait l’être, localement, avec beaucoup plus d’efficacité.

(1) – La CVAE ou cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est calculée en fonction de la valeur ajoutée produite, selon l’opération suivante : (valeur ajoutée x taux effectif d’imposition) + [(valeur ajoutée x taux effectif d’imposition) x 1 %]. Le taux effectif d’imposition varie de 0 % à 1,5 %, en fonction du chiffre d’affaires hors taxe de l’entreprise. 

(2) – La CFE ou cotisation foncière des entreprises est assise sur la valeur locative des biens immobiliers passibles d’une taxe foncière et utilisés par l’entreprise pour les besoins de son activité professionnelle au cours de l’année N-2. Son taux est déterminé par délibération de la commune des biens imposables et peut varier assez fortement.

 

Publie par Les Echos Exécutive le 20 décembre 2017